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Une bombe à retardement

Parce qu’elles sont asymptomatiques, les maladies cardiovasculaires sont les grandes oubliées de la prévention médicale et des programmes de santé en entreprise. Elles coûtent pourtant très cher tant sur le plan de la productivité que de l’assurance médicaments.

« C’est un enjeu qui est aujourd’hui occulté par le volet santé mentale, sur lequel les entreprises ont mis l’accent ces dernières années, observe Julie Cousineau, associée chez Normandin Beaudry. Mais lorsque l’on analyse les régimes d’assurances collectives, on constate une utilisation importante des médicaments liés aux maladies cardiovasculaires. »

Ces derniers se retrouvent en effet dans le top 3 des médicaments les plus coûteux pour l’entreprise. Pas qu’ils soient nécessairement très chers, car les génériques ont fait leur apparition sur le marché, mais parce que de nombreux employés y ont recours.

« Les employeurs devraient y faire plus attention, estime ­Mme ­Cousineau. On commence à en parler davantage depuis un an, un an et demi, mais ce n’est pas encore assez par rapport aux coûts que cela représente. »

Absentéisme et invalidité

Ainsi, chez les clients de Normandin Beaudry, les médicaments liés aux maladies cardiovasculaires, à l’hypertension et à l’hypercholestérolémie reviennent à 110 dollars par année et par employé atteint. Julie Cousineau ajoute à cela le fait que les personnes qui en souffrent sont très à risque de développer d’autres maladies chroniques, telles que le diabète, qui coûte quant à lui 65 $ par an à l’entreprise pour chaque employé atteint.

« Et c’est sans compter les absences, qui pour les diabétiques représentent de deux à dix journées de plus que pour les non-diabétiques », précise-t-elle.

D’où l’importance de la prévention, les facteurs de risque étant pour la plupart liés aux habitudes de vie, donc modifiables, et du dépistage puisque que ces maladies sont asymptomatiques.

« Les employeurs sous-estiment la présence des maladies cardiovasculaires au sein de leur main-d’œuvre, affirme ainsi Mélina Lamarche, coordinatrice en promotion de la santé à La Capitale. On sait qu’à peu près un travailleur sur deux est atteint d’une maladie chronique, dont bon nombre sont d’ordre cardiovasculaire. Or, il y a une incidence sur l’assurance médicaments pour les entreprises qui en proposent, mais aussi sur l’absentéisme dû à un accident cardiaque ou au contrôle de la maladie, et sur l’invalidité pour les personnes qui reviennent après un AVC, par exemple.

« Les employeurs sous-estiment la présence des maladies cardiovasculaires au sein de leur main-d’œuvre. »

– Mélina Lamarche, La Capitale

Face à ce défi, les compagnies d’assurance ont développé des programmes permettant aux entreprises de prendre le problème à bras le corps. La plupart d’entre elles proposent à la fois un volet prévention et un autre dépistage.

« On va toucher aux habitudes de vie, tout ce qui est activité physique, alimentation, tabagisme, consommation d’alcool, etc., explique Mme Lamarche. On sensibilise les employeurs et on leur propose des outils pour faciliter l’engagement des employés à adopter de saines habitudes de vie. Il peut s’agir de programmes de remboursement des activités physiques, de plus de flexibilité pour faciliter l’accès à ces activités, de la mise en place de clubs de marche ou de course, entre autres. »

DE QUOI PARLE-T-ON?

  • Les maladies cardiovasculaires affectent le cœur (cardio) et les vaisseaux sanguins (vasculaires) pour provoquer l’angine de poitrine ou l’infarctus (crise cardiaque) mais également les accidents vasculaires cérébraux (AVC). Ceux-ci surviennent lorsque le flux sanguin vers une partie ou une autre du cerveau rencontre un obstacle. Les séquelles de l’AVC dépendent de la partie du cerveau qui a subi des dommages et de l’étendue de ceux-ci.
  • Les signes avant-coureurs de la crise cardiaque peuvent varier, et ne sont pas tout le temps les mêmes chez les hommes et chez les femmes. Les plus fréquents demeurent la douleur ou l’inconfort thoracique, la pression, un serrement, une douleur vive, une sensation de brûlure ou de lourdeur à la poitrine. Mais la transpiration, la nausée, les étourdissements, l’essoufflement ou encore de l’inconfort à d’autres régions du haut du corps telles que le cou, la mâchoire, l’épaule, le bras ou le dos peuvent également alerter.
  • Cette affection touche les femmes de façon disproportionnée. Plus de femmes que d’hommes en meurent et elles ont des séquelles plus importantes que ces derniers. Pendant que leur corps s’adapte aux changements biologiques qui surviennent à la ménopause, le risque augmente encore.

Gestion du stress

Il peut également être question de proposer des aliments sains dans les cafétérias et les machines distributrices, voire une corbeille de fruits dans la salle de lunch. La présence de supports à vélo ou encore de douches dans les locaux peut favoriser le transport actif. Mais il faut aussi parfois travailler plus en profondeur afin de changer la culture d’entreprise.

À ce sujet, « il est important de travailler avec les gestionnaires, indique Danielle Vidal, directrice développement des affaires à SSQ Assurance. Sur la gestion du stress notamment, puisqu’il s’agit là d’un facteur aggravant en matière de maladie cardiovasculaire. Ils doivent pouvoir détecter lorsqu’un membre de leur équipe vit un stress intense, parce que cela pourrait mener à un infarctus. Mais aussi parce que les personnes qui ont subi ce type d’accidents sont plus à risque de dépression. On multiplie ainsi les problèmes à gérer. »

Mme Vidal insiste également sur le droit à la déconnexion afin de permettre un équilibre entre la vie professionnelle et personnelle.

« Aujourd’hui, tout est devenu urgent, regrette-t-elle. Il faut accompagner les employeurs afin qu’ils réfléchissent à ce qui l’est vraiment. Quoi qu’il en soit, dans ce dossier des maladies cardiovasculaires comme dans beaucoup d’autres, il s’agit de convaincre la haute direction. Sans cela, l’efficacité n’est pas optimale. »

La convaincre entre autres de mener des campagnes de dépistage à l’interne. Tous les employés n’ayant pas accès à un médecin de famille, nombre d’entre eux vivent en effet avec une maladie cardiovasculaire sans même le savoir.

« On appelle ces maladies les tueurs silencieux parce qu’elles n’ont pas de symptômes, indique Danielle Vidal. Or, plus elles sont détectées tôt, moins il y a de risque qu’elles dégénèrent vers un diabète, par exemple. Parce que la maladie est stabilisée par des médicaments, mais surtout parce que le malade prend conscience de son état et modifie ses habitudes de vie. »

« Plus ces maladies sont détectées tôt, moins il y a de risque qu’elles dégénèrent vers un diabète. »

– Danielle Vidal, SSQ

Le docteur Martin Juneau est cardiologue et directeur de la prévention à l’Institut de cardiologie de Montréal (ICM). Selon lui, si le problème est aujourd’hui aussi grave, c’est que tous les gouvernements quels qu’ils soient, et ce, depuis plus de 30 ans, se concentrent sur le développement de médicaments, de traitements et de chirurgie au lieu d’investir dans la prévention.

Aujourd’hui, les primes sont rendues trop élevées et les entreprises ne veulent plus payer, raconte-t-il. « Raison pour laquelle on se tourne vers la prévention. »

Pessimisme

Le DJuneau craint cependant qu’il ne soit peut-être un peu tard. « Le pourcentage d’obèses est de plus en plus élevé au Canada, ce qui mène aux maladies cardiovasculaires, à l’hypertension, au diabète, voire aux AVC, indique-t-il. On est en train d’effacer tous les gains que nous avions faits depuis 50 ans avec la baisse du tabagisme notamment. C’est certain que l’on va voir une recrudescence des maladies cardiovasculaires, notamment chez les plus jeunes. On remarque d’ailleurs déjà une hausse de l’incidence de l’infarctus chez les 30 à 60 ans. »

« On remarque déjà une hausse de l’incidence de l’infarctus chez les 30 à 60 ans. »

– Dr Martin Juneau, Institut de cardiologie de Montréal

Avant l’âge de la retraite, donc, ce qui aura un impact encore plus grand pour l’entreprise. Le DJuneau confie d’ailleurs qu’en plus des programmes de santé au travail qu’elles proposent, les compagnies d’assurance commencent à financer des organismes tels que l’ICM ou la Fondation des maladies du cœur et de l’AVC afin de maximiser l’efficacité des campagnes de prévention. Malgré cela, le DJuneau avoue son pessimisme.

« Si le gouvernement ne suit pas, il sera difficile de redresser la barre, croit-il. Or, la prévention n’est pas un enjeu électoral. Il y a donc peu de chances que le gouvernement augmente les budgets de prévention. »

Ce qui n’empêche pas le cardiologue de continuer à se mobiliser. Tout comme la Fondation des maladies du cœur et de l’AVC, qui se rend par exemple dans les petites et moyennes entreprises, qui n’ont pas forcément l’argent nécessaire à la mise en place de programmes ambitieux, afin de conscientiser les employés et de fournir des outils. Celle-ci s’appuie notamment sur les travailleurs ayant subi un AVC et qui sont retournés dans la communauté.

« Ce sont de bons ambassadeurs, explique Andréane Tardif, chargée de projets prévention/promotion de la santé à la Fondation. Ils nous accompagnent dans les entreprises, témoignent, racontent leur histoire, font passer des messages clé, sur les signes avant-coureurs notamment. Ils sont par exemple bien placés pour insister pour que leur employeur installe un défibrillateur sur les lieux de travail. Et pour les employeurs, comme les employés, c’est du concret. Pas une simple statistique de plus. »

DES MALADIES QUI COÛTENT CHER

  • Au Canada, toutes les cinq minutes, une personne meurt d’une maladie du cœur ou d’un accident vasculaire cérébral (AVC).
  • Ces maladies sont responsables de 29 % des décès chez les hommes et de 30 % chez les femmes et constituent l’une des principales causes de mortalité et d’incapacité.
  • Les causes des maladies du cœur sont dans 15 % génétiques et 85 % liées aux habitudes de vie.
  • 80 % des décès prématurés causés par les maladies du cœur et l’AVC peuvent être évités en ayant des habitudes de vie saines.
  • Neuf personnes sur dix ont au moins un facteur de risque associé à ces maladies (sédentarité, alimentation trop grasse, trop sucrée, trop salée, surpoids, tabagisme, alcoolisme, stress). Un sur trois en a au moins trois. Ainsi, 85 % des Canadiens ne font pas assez d’activité physique, 56 % d’entre eux ne consomment pas cinq fruits et légumes par jour et 20 % d’entre eux fument.
  • Les AVC coûtent 3,6 milliards de dollars par an à l’économie canadienne, et la démence vasculaire (type maladie d’Alzheimer, déclin cognitif important), 15 milliards de dollars.
  • Les coûts directs et indirects des maladies cardiovas-culaires s’élèvent quant à eux à 21 milliards de dollars.

Sources : Fondation des maladies du cœur et de l’AVC, SSQ, Société canadienne de cardiologie, Sanofi.


• Ce texte a été publié dans l’édition de mai 2019 du magazine d’Avantages.