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Cannabis au travail : dissiper le brouillard

La légalisation prochaine de la marijuana au Canada suscite toutes sortes de questions chez les employeurs au pays. Voici quelques réponses…

Quand la Commission de transport de Toronto (TTC) a instauré une politique de tests de dépistage de drogues aléatoires, elle a voulu s’assurer que ses effectifs savaient ce qu’elle attendait d’eux.

En 2017, l’administration des transports de la Ville Reine a ainsi envoyé par la poste un guide à tous ses employés, et l’a également publié en ligne, afin que ces derniers soient pleinement conscients du processus de tests, qui sont effectués auprès de 20 % de ses effectifs chaque année. L’introduction des tests aléatoires était la réponse à une hausse du nombre de tests positifs pour la consommation de drogues et d’alcool chez les employés dont on soupçonnait que les facultés étaient affaiblies.

Si le contexte de la TTC semble unique, elle est loin d’être la seule entreprise au pays qui révise ses politiques et pratiques quant aux drogues. Surtout avec la légalisation de la marijuana qui point à l’horizon.

« Je fais la comparaison avec l’alcool, affirme Brad Ross, porte-parole de la TTC. La plupart [des employés] savent qu’il ne faut ni venir travailler ivre ni sortir luncher, se saouler et revenir au travail. Le même principe s’applique à la marijuana ou à toute autre drogue. »

Bien sûr, l’enjeu pour les entreprises n’est pas si simple. Alors que la consommation du pot à des fins récréatives sera légale au Canada dès cet été, les employeurs doivent trouver une réponse à plusieurs interrogations, dont les implications pour ses politiques sur la toxicomanie, les conséquences possibles pour la sécurité des travailleurs ou encore les programmes d’assurance collective.

Beaucoup auront déjà examiné la question. Pour les autres, un bon point de départ serait l’éducation et la formation sur les répercussions de l’affaiblissement des capacités, suggère Loretta Bouwmeester, associée à Mathews Dinsdale & Clark.

À l’approche de la légalisation, Mme Bouwmeester s’attend à voir beaucoup de publications vantant les bienfaits de la marijuana. « Il existe déjà bon nombre de documents, qu’on pourrait qualifier de marketing, sur l’usage médicinal et même récréatif du cannabis, explique-t-elle. Ce qui manque est une très bonne compréhension des conséquences négatives et du risque de compromettre la sécurité dans les milieux de travail. La formation et l’éducation seront alors essentielles, car la majorité des employeurs disposent déjà de programmes rigoureux quant aux drogues et à l’alcool ou à l’aptitude au travail. La marijuana devrait être traitée de la même manière que tout autre médicament ou drogue susceptible d’affaiblir les facultés. »

La mise à jour des politiques sur l’aptitude au travail et des attentes envers les employés qui consomment de la marijuana devraient figurer sur la liste des choses à faire pour se préparer à la légalisation, renchérit la Dre Melissa Snider-Adler, experte en dépendances et médecin examinatrice à DriverCheck, une entreprise spécialisée dans les tests médicaux.

Ce sont des enjeux clés, estime-t-elle, « parce que les politiques parlent souvent d’alcool, de médicaments sur ordonnance ou de substances illégales. Mais la marijuana légale n’entre pas dans ces catégories. Il faut donc s’assurer d’avoir une politique à jour qui couvre le cannabis. »

Comme le souligne la Dre Snider-Adler, certains aspects sont plutôt simples. « Tout comme c’est le cas avec l’alcool, on s’attend à ce que [le travailleur] n’en amène au bureau et n’en boive pas avant de commencer son quart de travail. Bien sûr, certaines personnes prennent de l’alcool sur l’heure du dîner, mais ce ne serait pas acceptable de s’enivrer au point de n’être pas capable de travailler ou de conduire. La règle générale, c’est de ne pas travailler sous l’influence de l’alcool. Ce sera la même chose pour le cannabis. Le fait qu’il soit légal ne veut pas dire qu’on aura le droit d’en amener au travail, d’en consommer sur place ou avant, et ce, puisqu’il diminue les facultés. »

Plus que tout, il faut adopter une attitude proactive à l’égard des enjeux de gouvernance, tranche Gregory Clooney, conseiller juridique principal chez Morneau Shepell. « Tous les employeurs doivent réviser leurs politiques et procédures, déclare-t-il. Le besoin d’y apporter des modifications ou des clarifications dépendra de la réalité de chaque entreprise, mais il faut au moins y jeter un coup d’œil. »

Ces révisions devront aller plus loin que les politiques de toxicomanie pour inclure d’autres problèmes qui pourraient surgir. « Il y a peut-être une politique d’accommodements qu’il faut prendre en considération. Il existe peut-être déjà une politique sur la marijuana dans laquelle il faudra faire la distinction entre la marijuana médicinale et le pot aux fins récréatives », précise M. Clooney, ajoutant que les milieux de travail sans odeur devront aussi examiner la question.

Des défis RH

La sécurité des employés est, bien évidemment, une des principales préoccupations en matière de ressources humaines. Même s’il faudra tenir compte de la légalisation de la marijuana au moment de prendre des mesures disciplinaires, M. Clooney est d’avis qu’une politique de tolérance zéro est trop sévère, car il n’existe présentement pas de tests qui mesure les effets de la marijuana sur les facultés.

Il fait remarquer que les tests aux États-Unis ont généralement recours à des échantillons de salive pour détecter le tétrahydrocannabinol (THC) dans le corps, mais ne sont pas en mesure d’évaluer l’affaiblissement des facultés. « Et ça fonctionne au sud de la frontière, car les règles et règlements sont différents. Ici, les employeurs doivent savoir que l’échantillon indique seulement la présence de THC dans le corps. Il ne montre pas que l’individu a les facultés affaiblies. Ce serait comme pénaliser quelqu’un le lundi d’avoir bu quelques bières le vendredi soir. »

Un élément clé relève bien sûr des situations dans lesquelles on peut procéder à des tests antidrogue. Alors que le cadre canadien est plus restrictif que l’américain, des scénarios existent dans lesquels ils seraient permis, avance Shane Todd, associé chez Fasken. Par exemple, s’il existe des motifs raisonnables de soupçonner des facultés affaiblies ou lors du retour au travail d’un employé ayant admis avoir un problème de drogues et qui a suivi un traitement de réhabilitation. Effectuer des tests après un incident serait également possible.

« Ce sont les types de tests généralement permis, affirme M. Todd. Les tests autres que ceux liés à la sécurité sont plus difficiles à justifier. Ce qui ne veut pas dire qu’on n’en fait pas, mais que c’est plus difficile de les défendre devant la cour ou un tribunal des droits de la personne. »

Autre point important : certains nouveaux utilisateurs pourraient ignorer l’effet que la drogue aura sur eux, affirme Loretta Bouwmeester, notant que la teneur en THC de la marijuana a beaucoup évolué au fil du temps et que le marché noir ne disparaîtra pas après la légalisation.

« Si la drogue est achetée auprès d’un fournisseur illégal ou non autorisé, on en ignore la puissance ou le contenu. C’est à ce moment qu’on peut subir des conséquences graves, si par exemple elle contient du fentanyl, poursuit-elle. Les effets varieront en outre selon la façon de consommer le cannabis et sa concentration. Il faut [que les employés comprennent] les effets réels des différentes façons de le consommer. »

Face à une demande accrue pour la couverture du cannabis médicinal et à des décisions plus nombreuses des tribunaux dans ce dossier, les employeurs n’auront d’autre choix que de consulter des professionnels avisés, conclut la Dre Snider-Adler. « Sans doute en raison de la légalisation, on observe une croissance énorme du nombre d’autorisations d’usage de la marijuana thérapeutique. Pour être honnête, ce sera probablement un problème plus majeur pour les employeurs que la légalisation du cannabis aux fins récréatives. »

http://www.conseiller.ca/avantages/nouvelles/cannabis-au-travail-dissiper-le-brouillard-2-38941?courriel=yes